La vie nous mène parfois sur des chemins bien difficiles. Sur ces sentiers ardus, il n'est pas possible d'abanonner, de ralentir ou de flâner. On n'a comme seule possibilité celle d'avancer, plus fort, en dépit des obstacles et des difficultés. D'avancer sans se retourner. Au pied de la montagne, et non armé pour, nous n'avons pourtant pas d'autre choix que de la gravir. Ne pas lâcher prise malgré le vertige.
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Des nuits sans sommeil à ses côtés, le ronronnement de la pompe qui l'alimente la nuit, les bip bip et les sonneries des alarmes des moniteurs ou des pompes, les examens médicaux, les heures d'attente derrière la porte du bloc op, les vomissements qui n'en finissent pas, les diarrhées, la constipation, les complications, les réactions allergiques, la batterie de médicaments à prendre à la maison, les descentes aux urgences au milieu de la nuit pour une fièvre, toutes ces longues heures dans les hopitaux, toutes ces heures à attendre la trouille au ventre, et le temps qui n'en finit pas dans les hopitaux, les torrents de larmes, les cauchemards. La douleur, la colère, la révolte, le désespoir... et puis petit à petit au fil des mois, les petites victoires, les progrès, l'espoir, quelques rires et l'incroyable envie de vivre, vivre à fond quand ça va bien, ne pas penser au lendemain, ne pas planifier, ne rien prévoir et vivre, vivre au jour le jour. Ne pas retomber, ne pas sombrer, chasser les idées noires, s'accrocher à une petite goutte d'espoir.
Coudre des petits chapeaux colorés pour des petits loulous qui comme notre Laura se battent du haut de leurs jeunes printemps, avec une force, une naïveté, une joie de vivre et une énergie qu'on ne soupçonne pas, ça a été pour moi dans les premiers temps une manière d'avancer, de colorer la vie, de me concentrer aussi sur mon fil et mon aiguille et d'en oublier le reste. C'était une manière d'être active de ce qui nous arrivait et ne plus le subir. Prendre la vie à bras le corps, se battre pour en conserver le meilleur et en chasser le pire
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Nous avons découvert un monde qu'on ne soupçonnait pas, constitué de gens exceptionnels: des médecins engagés qui se battent pour nos enfants, mais aussi de super-parents qui font une fête des petites victoires et qui cultivent l'espoir avec un engagement formidable.
Et bien sûr, nous ne nous en sortirions pas sans notre entourage: notre grande famille et nos amis.
Laura est incroyable de naïveté, de courage. Imprévisible aussi. Têtue, ça c'est sûr. Mais elle est surtout joyeuse, souriante, et ça en est presque incroyable un tel bonheur. Elle a une confiance étonnante dans le monde des adultes, ce monde qui lui a pourtant imposer tellement d'actes médicaux. Elle a oublié aussi beaucoup de ses années de traitement. Elle ne se souvient plus des nuits à l'hôpital, et c'est tant mieux... C'est que quelque part, nous avons réussi à la protéger.
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Il y a des mots que nous n'avons jamais évoqués. Nous n'utilisons jamais "cancer". J'avais tellement peur qu'elle entende dans la cour de l'école "moi aussi mon papy est mort du cancer". Nous parlons toujours des "méchantes cellules" comme des legos qui construisent le corps et qui se multiplient méchamment. On fait encore régulièrement "des photos de sa tête", des IRM pour s'assurer que les méchantes cellules ne sont plus là.
Nous n'avons jamais parlé de la mort non plus. C'est pour nous le meilleur moyen de la chasser. Les enfants n'ont pas trop posé de questions, ils étaient petits.
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On parle beaucoup de Laura, on me demande toujours "comment ça va"... sous entendu "comment va Laura". C'est vrai que Laura c'est notre baromètre moral à tous, et ce n'est pas évident à porter sur ses petites épaules je suppose... Je n'en oublie pas moins mes 2 autres loulous.
Elliot est un grand frère infatigable, curieux de tout, avide de savoir, de comprendre de maîtriser et d'exceller dans tout ce qu'il fait. Un peu tout feu tout flamme. Je dois reconnaître que tout au long de ce parcours, il a été "facile". Il fonctionne super bien à l'école. Il me demande moins d'attention et je lui en fournis moins. Je le sais bien. J'espère qu'il comprend, ou comprendra. Il avait à peine 5 ans qu'il suivait mes coups de téléphone aux médecins, il guettait les résultats des prises de sang et surveillait tous les écrans de moniteurs des salles d'hopitalisation.
Marie, aussi surnommée Rikiki (Ma-rikiki) de part sa taille avait 8 mois au moment du diagnostique. Nous l'avons dans l'urgence inscrite à la crèche, elle a du tout à coup faire sans moi... Elle a eu des mois difficiles. C'est une petite crevette, un mini gabarit... mais elle nous épate d'indépendance, d'autonomie et de tempéramment: elle sait ce qu'elle veut cette petite. Haute comme 3 pommes mais déjà tout d'une grande. Elle admire sa grande soeur mais lui tient tête, et sacrément. Elle n'avait pas 2 ans qu'elle était déjà propre, dormait dans un grand lit avec son frère et sa soeur. Elle n'avait pas 4 ans qu'elle roulait déjà à vélo... J'appréhende la suite!!!
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Je n'oublie pas le papa là-dedans... Même s'il est souvent relégué au 2ème plan, je suis une maman à mi chemin entre la poule et la louve, je les couve et dévorerais quiconque oserait s'approcher... C'est un papa formidable, une épaule solide, un compagnon de route exceptionnel, mon confident, mon roc, mon amant (aussi quand même!). Nick il a la faculté d'avancer un pas après l'autre, il ne panique pas au premier mal de tête, il garde la tête sur les épaules. Et de toutes ces épreuves, il a réussi à garder une certaine légèrté. Il peut jouer comme un gamin avec les enfants alors que moi, je guette Laura tout le temps, je l'observe sous toutes les coutures, je ne lui fous jamais la paix. Il garde une patience incroyable pour lui faire faire ses devoirs, elle qui a tant de mal avec 1 addition. Moi ça me retourne les trippes, m'angoisse, lui transforme ça en jeu et parvient à lui donner goût aux chiffres.
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Moi j'ai tenu aussi avec la couture. Ca m'a sorti la tête de l'eau, ça m'a permis de rencontrer des mamans aussi... J'ai rêvé de créer une association qui offrirait des chapeaux à tous nos petits soldats. Je voulais apporter du réconfort aux mamans, leur crier comme Laura aujourd'hui va bien, comme elle m'épate, comme on a cru la perdre 1000 fois et qu'aujourd'hui elle est plus joyeuse que jamais, qu'elle chante, qu'elle danse, qu'elle va a vélo tous les matins à l'école, qu'elle parle 2 langues, qu'elle lit et commence à écrire... Leur dire de s'accrocher, que ça va être dur, mais que ça va aller... Que Laura c'est mon petit miracle médical, et que la médecine progresse chaque jour, et que chaque jour est un jour de gagné pour la recherche aussi. Mais je ne suis pas aussi solide que j'en ai l'air. J'ai peur tout le temps, je m'effondre régulièrement, j'ai encore du mal à m'endormir parfois, j'ai peur des coups de téléphone quand mes enfants ne sont pas à mes côtés...
Alors, j'ai continué à coudre, je me suis éloignée des hopitaux puisque maintenant Laura s'y rend moins souvent... Mais j'aimerais tellement apporter du réconfort, celui que j'aurais aimé avoir quand j'en avais tant besoin.
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Côté administratif, je travaille sous couvert de la smartbe. C'est un peu équivalent à une boite d'intérim pour métier artistique, un peu comme un intermittent du spectacle. Ils s'occupent du volet cotisations, assurance... et moi je me concentre sur la création. Ca m'occupe presque à mi-temps, le reste, je le consacre aux enfants et à l'équilibre de la famille. Parfois j'aimerais retravailler, ça serait comme un retour à la normale et puis, parfois, je ne m'en sens pas encore capable. Un peu comme une superstition aussi, si on retourne à la normale, qu'est ce qu'il va encore nous arriver. Alors, nous consolidons aujourd'hui ce que nous avons....